Atos : un hypothétique plan B agite le ministère des armées
Une note assurant la promotion d'un projet alternatif à la cession d'Atos à Daniel Kretinsky circule à l'hôtel de Brienne. Le schéma proposé ressemble comme deux gouttes d'eau à celui porté par l'homme d'affaires Yazid Sabeg depuis neuf mois.
Alors que le conseil d'administration d'Atos est entré en négociations exclusives début août avec Daniel Kretinsky, un drôle de document défendant un "plan B" au rachat programmé circule au sein du ministère des armées. Consultée par La Lettre A, cette note non signée détaille un projet argumenté de reprise qui permettrait d'injecter 900 millions d'euros dans le groupe informatique.
Le montage permettrait d'éviter la scission du groupe présidé par Bertrand Meunier, avec Eviden d'un côté et la cession de Tech Foundations (TFCo) de l'autre. Le mystérieux promoteur de ce plan alternatif fait d'ailleurs valoir que la partition d'Atos en deux blocs "n'est pas soutenue par le marché". Et souligne également "une amélioration inattendue au premier semestre de la performance de TFCo", entité promise au milliardaire tchèque pour mieux prôner le maintien du fleuron français et éviter son démantèlement.
Yazid Sabeg en embuscade
D'après nos informations, le document attribue un rôle de premier plan à un partenaire français qui apparaît sous l'appellation succincte"YS Holding". La mention fait référence à Yazid Sabeg, président de CS Group, l'entreprise spécialisée dans les systèmes de surveillance et la data intelligence. L'homme d'affaires avait été consulté dès la fin 2022 par le ministère des armées pour sa bonne connaissance du dossier. Il s'est depuis mobilisé en adressant à plusieurs banquiers un projet complet de sauvetage d'Atos. Le schéma décrit dans cette note ressemble d'ailleurs fortement aux arguments que l'homme d'affaires défend auprès de Balard, à savoir des besoins en recapitalisation d'Atos estimés a minima à un milliard d'euros, un plan réalisable avec renouvellement de l'état-major d'Atos.
Le groupe Sopra Steria, avec qui l'ancien commissaire à la diversité de Nicolas Sarkozy entretient des liens historiques, a aussi été sollicité sur la même période en 2022. Très introduit dans le milieu de la défense, Yazid Sabeg connaît bien les activités sensibles d'Atos. Pour la petite histoire, ce dernier avait même failli racheter Bull au milieu des années 2000 avant de trouver sur son chemin un certain Thierry Breton.
Manœuvres en vue à l'hôtel de Brienne
Si ce plan paraît obéir à une logique de souveraineté sur le papier, selon nos informations, les porteurs de ce projet alternatif envisageraient d'embarquer un fonds basé aux Emirats arabes unis comme partenaire institutionnel. Le recours à ce financement n'est pas évoqué dans la note écrite transmise au ministère des armées. Mais Patrick Pailloux, nouveau directeur de cabinet de Sébastien Lecornu, issu de la DGSE et ancien DG de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi), a été informé de l'existence du "plan B" associant les Emirats. Il a également eu écho de la réaction de quelques hauts gradés, très opposés à la mobilisation d'un fonds extra-européen dans l'actionnariat d'Atos.
Signe que le ton est monté d'un cran, certains ont même rappelé l'existence d'un article du Code pénal (le 411-3) réprimant le fait de livrer à une puissance étrangère ou à une entreprise des services ou des équipements en lien avec la défense nationale. Certaines activités d'Atos, qui a par exemple conçu le système d'information du programme Scorpion (SICS) des blindés nouvelle génération, sont jugées particulièrement sensibles. Le chef d'état-major particulier de l'Elysée Fabien Mandon a aussi été informé de cette hypothèse impliquant des financements en provenance du golfe.
Grain à moudre pour les défenseurs de la souveraineté
Certes, Daniel Kretinsky — via sa holding EPEI — compte mettre la main sur l'entité Tech Foundations, une activité d'infogérance qui n'a pas de grands contrats avec les armées et abrite peu d'activités sensibles. Mais le magnat tchèque propose aussi de prendre une participation de 7,5 % dans Eviden, la partie d'Atos qui conservera des supercalculateurs en lien avec les capacités de la dissuasion nucléaire française.
Si elle se concrétisait, l'offre du milliardaire ne manquerait pas de (re)donner du grain à moudre aux défenseurs de la souveraineté en matière de défense, déjà mobilisés sur le front politique depuis une tribune parue le 2 août dans Le Figaro et cosignée par 82 parlementaires
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